Actualités du minimalisme
Anne Blanchet s’est très tôt passionnée pour les arts. Si sa sensibilité s’est tout d’abord exprimée à travers la danse contemporaine et les belles-lettres, c’est en 1982 à Pittsburgh, dans un territoire marqué par les forces de l’industrie, qu’Anne Blanchet se dédie aux arts plastiques. Elle fréquente alors en tant que visiting artist la faculté d’art (Carnegie Mellon University) et la Mattress Factory, où elle rencontre James Turrell, et découvre l’abstraction sensuelle de son travail. À New-York, elle visite les galeries, notamment celle de Paula Cooper, où elle entre en contact avec l’œuvre de Joel Shapiro, Walter de Maria, Sol Lewitt et surtout Carl André, pour lequel elle conserve une admiration et des affinités esthétiques. Elle prend alors acte d’un minimalisme qui s’annonce décisif : la sobriété du matériau et l’économie des moyens deviennent peu à peu des marqueurs de son propre travail. Aussi, les œuvres d’Anne Blanchet frappent d’abord par la concentration de l’idée et la clarté du propos : il lui importe de ne dire qu’une chose à la fois. Ses œuvres naissent d’une réflexion globale sur la forme. Celle-ci se précisera au cours du travail par ses composantes, conçues comme un agencement élégant de lignes et de formes justement positionnées. L’art minimaliste d’Anne Blanchet conjugue l’épure à un goût général pour la blancheur. Nourrie par l’abstraction et l’art conceptuel aussi, l’artiste s’appuie cependant sur l’« idée sensuelle », présente dans chaque œuvre, qui doit être entendue comme un programme poïétique. Ce pourrait être un oxymore si le concept, la réflexion en amont du travail matériel, n’étaient à ce point instigateurs de sensations futures. « Dans chaque théorème, il y a une sensualité du développement de la pensée »1 pose Blanchet, s’opposant à la froideur du conceptuel. Il y a, dans l’art d’Anne Blanchet, une corporéité, un rapport à la sensation qui ne peuvent être ignorés.
Ses productions pourraient se définir comme des sculptures de mouvement, de lumière et d’air. Elles ont un caractère installatif qui entretient avec l’espace qui les accueille une relation de questionnement réciproque, de dialogue auquel le spectateur assiste et est invité à prendre une part active, physique, au sein du dispositif. En cela, ce sont des « espaces à penser ». L’autorité n’a pas sa place dans de tels dispositifs. Chez Blanchet, il s’agit plutôt de faire disparaître les verticales, de les mettre à mal, au profit de lignes qui ouvrent un horizon. Pourtant, c’est un art qui ne se veut pas graphique (terme péjoratif pour Blanchet, le terme « graphique » étant entendu comme trait arrêté, sans profondeur ni mouvement), mais dynamique.
Dans chacune de ses pièces, le sentiment d’éternité est toujours mis en danger par un mouvement intérieur. C’est que le temps a son importance chez Blanchet : il travaille la matière, la transforme. L’éphémère d’une incidence de lumière, l’évanescence d’un nuage sont des vérités consubstantielles au travail de l’artiste. Souligner la visibilité de chaque mouvement, rendre la lumière et l’air visible : voici quelques-uns des marqueurs de cette production. Précisément, cette attention fine portée à la face immatérielle de ses œuvres dut conduire Anne Blanchet à investir la question du vide, de l’absence, parfois de la disparition, fondant ses œuvres sur une présence invisible que le travail artistique permet précisément de mettre au jour.