Emergences, prémices des Light Drawings 1991

« Espace intérieur, espace extérieur, relation entre les lieux. Mon travail a toujours été centré sur la relation à l’espace. D’abord j’ai fait intervenir des matériaux dont l’occupation de l’espace n’était pas précise, l’eau et une feuille de plastique mou. L’eau galbe le plastique et le plastique tendu donne sa forme à l’eau, l’espace est alors créé par l’interaction de deux éléments.

Ouverture-fermeture, ouverture des pièces de grande dimension dans lesquelles on peut entrer, ouverture apparente des pièces avec du miroir. Réalité et reflet m’ont alors préoccupée. Quel regard ? Sur le réel, sur ce qui se trouve derrière la barrière ? Ou reflet de ce qui est derrière moi ?

C’est alors l’espace intérieur qui a prévalu. Les lames de verre ont cassé les parois des cubes de bois. Force explosant du centre, crevant la surface. Lumière sombre du verre. Tranchant des lames.

Force intérieur des groupes Déviance qui pousse l’un des quatre éléments à s’écarter des autres, à s’affaisser, à rompre l’ajustement parfait. Équilibre instable des pièces isolées.

Force enfin des Dalles blanches qui pousse la matière à se soulever, à quitter le plan pour tendre vers une autre force ou pour la fuir. Émergence du mouvement. Exprimé au centre de la dalle, venant du sol, comme une poussée de la terre à travers la matière, le déplacement c’est la tension vers la vie, vers l’amour, vers l’essentiel. C’est la respiration première de la vie, celle sourd de la terre et celle que je sens au centre de moi.

Les forces vont à la rencontre l’une de l’autre ou se fuient. Dominantes ou dominées, aspirées l’une par l’autre ou se chassant, elles atteignent le point de contact ou y tendent seulement. Elles se touchent parfois sans se rencontrer, partant dans des directions opposées.

Sur ces plaques, les déviances sont suggérées par un matériau réellement dévié de son plan. C’est une sorte de respiration de la matière. Blanc sur blanc, la déviance est mise en évidence par la lumière. Reflet ou ombre. Ombre blanchet et ombre grise. La pièce ne se livre pas tout de suite. Elle nécessite, comme les pièces avec l’eau, un mouvement du spectateur pour percevoir les lignes.

Les décalages sont de faible intensité (env. 1cm). Il s’agit non pas de démontrer, mais de suggérer. De même, au niveau du sens, l’idée d’éviction est prise dans une acception large. Elle concerne tant le niveau individuel que le niveau social ou politique. Tension vers, tension contre, lutte de pouvoirs, contact, dépassement, excès. »

Texte de Anne Blanchet accompagnant l’exposition à l’origine