Les dalles blanches d’Anne Blanchet
Pureté confondante ou indiscutable élégance, le travail d’Anne Blanchet semble imposer le silence. Au sol de l’Espace d’Art Contemporain de Lausanne sont alignées sept dalles d’une blancheur quasi immaculée. La parfaite monochromie de ces surfaces n’est troublée que par les ombres et les arêtes de formes ins- crites en relief. Comme des triangles blancs sur fond blanc, deux découpes se soulèvent en pointes.
Comme les éléments lexicaux d’une phrase, comme les images d’une anima- tion, les sept dalles décrivent une séquence. Les deux pointes se font d’abord face, s’effleurant presque. Puis elles viennent se juxtaposer, glissant l’une contre l’autre pour compléter l’image virtuelle d’un carré, comme les parties d’une unité reconstituée. Après ce moment central éphémère, elles filent ensuite à l’opposé l’une de l’autre jusqu’aux confins de l’espace délimité par la dalle. C’est du moins ce que l’on s’attend à trouver sur la dernière. Mais, surprise, l’une des formes a disparu. Ce glissement progressif de deux corps attirés puis repoussés est allé jusqu’à l’effacement de l’un d’eux.
D’un caractère très formel, minimaliste presque, le dispositif joue de sa sobriété pour générer - par contraste - une constellation de propositions, toutes pola- risées dans cette tension entre ombre et lumière, entre mouvements opposés. Aux idées de froideur, de lourdeur immobile et de fermeture que suggèrent les dalles, on doit opposer la délicatesse du relief, la légèreté du mouvement que propose la séquence et l’ouverture du système par son dernier terme.
Pierre-André Lienhard, « Les dalles blanches d’Anne Blanchet » , in
Journal de Genève et Gazette de Lausanne, octobre 1994.