Cette devise du compositeur Luigi Nono pourrait caractériser la musique visuelle d’Anne Blanchet, qui est intérieure comme celle que recherchait Mallarmé.
Quel est l’équivalent plastique du silence ? Le pendant musical du blanc ? Il en va des uns comme des autres, qui peuvent être pleins ou vides. Transparents ou opaques. Total chromatique, ou absence de pigments. Nono parlait de silences qui “sonnent”. Les blancs d’Anne Blanchet sont riches de non dit. Des installations symphoniques en plein air à la musique de chambre des “dessins de lumière”, subtil est le fil qui relie ces réalisations apparemment si diverses. Quelques parentés spirituelles esquissent un portrait. Adolphe Appia, qui modelait l’espace par la lumière. Ou Louis Kahn, mariant architecture et musique, et pour qui “l’ombre appartient à la lumière […] donatrice de toute présence”.
Silence, rythme, transparence, sont des mots clés qui résument la poétique d’Anne Blanchet. Certains thèmes également, qui lui sont chers: l’escalier, la porte, le pont. L’escalier, qui structure l’espace, ou figure l’ascèse. Gradus ad Parnassum. La porte, qui ouvre, interroge. Seuil, invitation. Passage. Le pont enfin, qui rapproche, comme l’installation de Fribourg réunit deux éléments d’un ensemble coupé par un boulevard. Etonnant paradoxe que ces “barrières” qui n’en finissent pas de s’ouvrir, ponctuant le silence de leur géométrie dynamique. Le mouvement structure ici le temps, la ligne informe l’espace. Au gré de ces ballets muets, le rythme est comme désincarné. Avec les portes coulissantes en revanche, le son se donne à voir. Respiration. Ressac. On pense à Valéry, “la mer, la mer toujours recommencée”. Ou aux polyrythmies de Ligeti. Magie du hasard apprivoisé, dont la rigueur entretient le mystère.
Ecouter la lumière. A Bex, le Coup de foudre pouvait évoquer, dans sa fulgurance, la “lumière de l’image” surréaliste, dont la valeur, pour André Breton, “dépend de la beauté de l’étincelle obtenue.” Avec les plexiglas, le tempo est celui de la méditation. Reliefs fantômes - mais comment désigner autrement ces réalisations paradoxales, où l’illusion engendre l’irréel ? Architectures virtuelles, transfigurées par l’aura d’un éclairage lunaire. Perspectives évanescentes, donnant sur un monde improbable. Comme dans les “Emergences”, qui saisissaient le mouvement dans sa genèse, ce minimalisme sensuel suggère l’expérience d’un espace primordial. Singulière démarche, qui met en œuvre un matériau inédit: ni toile ni pinceaux - immatériel, le seul rayon lumineux ébauche la promesse des ombres. Paradoxe encore que ces recours à la technologie: électricité, laser, plexiglas, ordinateur et vidéo au service de la poésie. Anne Blanchet n’a pas fini de nous surprendre. Œuvre ouverte, à tous les sens du terme. Au royaume de l’impondérable, le spectateur est roi. C’est à lui qu’il revient d’habiter les paysages du rêve.