Bref rappel des faits La topographie et la temporalité
particulières du travail
de Laurent Faulon

Connu pour ses performances critiquant l’assujettissement du corps à diverses sortes de disciplines (des techniques de pouvoir qui rendent l’individu d’autant plus obéissant qu’il est utile et inversement), pour son analyse de l’économie consumériste (dont les dispositifs visent à détourner l’attention des sujets vers des marchandises) et pour ses machines désirantes renversant la logique de cette économie (des objets ou des mécanismes sont activés et singent nos comportements, nos fantasmes, mettant en cause les lignes de partage entre le pur et l’impur), Laurent Faulon n’est pas un artiste au parcours normé. Son œuvre ne peut se résumer à une liste d’expositions dans des lieux qui la légitimeraient – l’artiste légitimant en retour les structures qui l’accueillent ou l’invitent.

C’est ce que révèle le présent ouvrage, qui consiste en une chronologie commentée des expositions, résidences et commandes publiques de Laurent Faulon. L’une des caractéristiques de cet inventaire est qu’il témoigne d’une activité qui déborde le cadre de l’institution. C’est la raison pour laquelle il intervient, souvent en compagnie d’autres artistes – pour rompre avec toute logique concurrentielle –, dans des espaces interstitiels. L’art n’est pas selon lui un accessoire luxueux proposé à un public acquis à sa cause, mais plutôt ce qui se construit lors de sa production, lors du temps passé à investir un lieu, rencontrer ses habitants et parfois travailler avec eux. Il est ainsi arrivé à Laurent Faulon de renouveler constamment les œuvres présentées dans un même cadre, à l’encontre de l’idée de l’exposition comme produit fini.

L’ensemble de ces choix influe sur la topographie et la temporalité particulières de certains projets initiés dans des logements sociaux, des chantiers de bâtiments en construction, un appartement communautaire, etc., parfois situés dans des pays tels la Russie, l’Arménie, Macao ou le Japon. Soit des contextes sans rapport avec le musée, le centre d’art ou la galerie considérés comme des réceptacles valorisants, des endroits confortables où il importerait, pour l’artiste, de se trouver. Les lieux qu’investit Laurent Faulon sont chargés de significations politiques, sociales, économiques. Ils constituent des environnements à chaque fois différents, qu’il s’attache à révéler par des gestes forts, ce qu’il appelle des « occupations » (l’art comme question et non comme réponse donnée dans un cadre pré-conditionné), dont la conception est opposée à cette manière de challenge sportif à quoi se résume fréquemment l’art dit in situ.

Distributeur Les Presses du Réel

Pierre Tillet, « Bref rappel des faits. La topographie et la temporalité particulières du travail de Laurent Faulon » in Life ! Life ! Life !, Genève : Aparté, Fondation Picker, 2012, p. I.