Immédiatement le tutoiement s’impose face aux objets de Tito Honegger. Pas besoin de connaître leur nom ; d’ailleurs, ils n’en ont pas et ils s’en passent très bien. Mais comment se fait-il alors que nous soyons envahis par ce sentiment de familiarité ? C’est qu’ils nous rappellent non seulement des choses vues, mais aussi et peut-être surtout des gestes, ceux des bricolages de l’enfance : mie de pain malaxée discrètement lors des repas familiaux, fils de fer ou végétaux trouvés et transformés ensuite en supports d’histoire fabuleuses. Tous ces trésors amassés, sans autre qualité que celle d’avoir été un jour choisis et façonnés, comme ça, sans y penser vraiment, la main heureuse et libre. Et face aux monotypes, l’autre pratique de l’artiste, on se souvient des dessins tracés sur la buée des vitres.
Tito Honegger recueille, chaque jour, des souvenirs visuels qu’elle trace au fusain sur des carnets de dessin. Ils sont le terreau de ce qui naîtra ensuite dans l’atelier, le jour même, des semaines plus tard, ou peut-être jamais. L’artiste procède par séries, mais sans systématisme et loin de tout formalisme : ses objets s’appellent les uns les autres, « trois petits chat – chapeau de paille - … » Et des objets aux monotypes, il y a de constants va-et-vient, les uns permettant de rebondir lorsque les autres s’essoufflent. Partie de hauts-reliefs colorés, l’artiste privilégie le mur pour ses installations ; mais ce n’est pas une règle, il n’y en a aucune chez elle, et le sol peut aussi bien faire office de support. D’une fois à l’autre, les places des objets permutent et les amis d’hier peuvent soudain s’agresser, pointes dressés ou bras menaçant. Ces formes simples, de tailles variables, Tito Honegger les travaille dans du polystyrène recouvert de papier mâché et peint en blanc mat ou en couleurs brillantes, utilisant aussi le fil métallique.
Dans les monotypes, deux grandes familles se distinguent : ceux pour lesquels l’artiste recouvre sa plaque de verre d’une couche d’encre grise sur laquelle elle vient au doigt travailler la matière, dans des gestes amples; ceux apparus plus récemment, plus graphiques, plus clairs et plus éclatés aussi, pour lesquels elle pose sa feuille sur la plaque encrée et dessine par dessus. Le paysage n’est jamais loin : vu de près, vu de loin, détail ou panorama, toujours dans de grands formats, horizontaux ou verticaux très étirés.
Tout cela est fragile, comme la vie. S’y croisent la légèreté de l’enfance et la gravité des questions essentielles.