Aux abstractions, traces de gestes simples dans l’encre épaisse, aux réinterprétations de rivières, sapins ou montagnes faisant paysages, Tito Honegger ajoute des feuilles d’après peinture. Pour ces exercices d’admiration, elle se tourne vers des coloristes comme Rubens ou Rosso Fiorentino qu’elle traduit en des monotypes essentiellement en noir et blanc. Elle se focalise sur des descentes de croix sans en revendiquer la portée religieuse mais pour travailler le corps. Elle reprend tout ou partie, elle esquisse et escamote, elle simplifie et laisse des blancs. Elle montre les lignes de force et donne à voir. Elle traduit, transpose et commente par la main.
Tout a commencé par l’achat au marché aux puces d’une gravure de la descente de croix de Rembrandt, panneau du triptyque de Notre-Dame d’Anvers. Montagne de chairs vives drapées, dépouille qui cascade du haut en bas de la composition pyramidale. Tas, amoncellement de corps qui se portent, se soutiennent ou se battent comme dans Tragédie chorégraphiée par Olivier Dubois. Tas brillant sous la lumière comme le tas de charbon anthracite de Bernard Venet. A cette première source s’en ajoutent d’autres. La Déposition de Croix du Caravage conservée au musée du Vatican dont Tito Honegger met en évidence la composition qui s’ouvre en éventail des bras levés de Marie à celui retombant du Christ mort dont l’index pointe le sol. De la Déposition de Croix de Rosso Fiorentino conservée à la Pinacothèque de Volterra (Toscane) et qui servit aussi de modèle à La Ricotta (1963) de Pasolini, elle garde le sommet cintré. Hommage à cet exceptionnel coloriste, Tito Honegger ajoute le bleu du ciel et le vert du corps, si présents dans l’original. C’est au pinceau plutôt qu’au doigt qu’elle affirme la ligne en traînées calligraphiées et laisse de grandes respirations de blanc. Du même artiste, elle retient le Christ mort entre les anges conservé à Boston. Elle en isole le corps qu’elle traite en une harmonie douce de gris déposés légers et rehaussés de rose. Ce corpus restreint, constitué de maîtres anciens, essentiellement baroques et peintres de la Contre-Réforme constitue son terrain d’étude. De ces images-sources, elle retient la fougue, les jeux de lumières, les déformations maniéristes et la puissance des compositions dont elle tire des variations faisant séries.
Au-delà de l’iconographie, qui renvoie à la violence de notre époque mais aussi à la sensualité contenue dans l’idée même d’incarnation, Tito Honegger travaille la matière et le vivant. De l’encre typographique, grasse, pétrie sur la plaque de verre, émergent les figures sorties du magma. Sous ses doigts, elle fait vibrer l’ensemble, incise quelques détails, marque un oeil, découpe l’arrête d’un nez ou griffe le contour d’une hanche qu’elle fait ainsi sortir d’une ombre allusive. Jeu des valeurs et fluidité des lignes sinueuses dégagent surtout l’énergie, le poids des corps et font miroiter quelques fragments formant repères. En prise avec la matière, c’est sensuel et allusif en un non finito pictural. Cette facture au doigt renvoie au Rodin de la porte de l’enfer dégageant les corps du chaos ou à la touche épaisse de Daumier. Sans être abstraits, ces monotypes ont le lyrisme d’une abstraction gestuelle. L’image, inspirée par la peinture, solidement sculptée, imprimée par contact sur papier de soie comme sur une fine peau, devient encore fragile et vibrante.