Une fois n’est pas coutume, la Salle Crosnier s’est parée d’une explosion de teintes vives et d’exubérants motifs. Sur de grande toiles luxuriantes réalisées à l’acrylique et à l’encre, fleurs, animaux et objets du quotidien s’organisent en des compositions ludiques évoquant tour à tour les intérieurs bourgeois de diverses époques, le Japon, les îles ou les imprimés textiles. Truffées de références à l’histoire de l’art, ces natures mortes décomplexées ont été réunies sous l’intitulé d’Un thé « biscuit » par l’artiste genevoise Laura Thiong-Toye, invitée à exposer au Palais de l’Athénée par la Société des arts.
« J’aime la surenchère, sourit-elle. Ce que je montre ici est encore assez sobre! Je prends le prétexte des natures mortes pour en casser les codes et les dynamiser. Je m’intéresse aux associations de coloris et de formes, aussi bien dans leurs rapports harmonieux que dissonants. Mes tableaux fonctionnent un peu comme des collages peints. » Un bout de nappe, une toile de grand maître flamand ou les illustrations d’anciens livres tibétains sont autant de sources d’inspiration pour la plasticienne née en 1986.
Contrastes et matières
Formée à la HEAD (Haute École d’art et de design de Genève), Laura Thiong-Toye doit son goût du métissage à un père réunionnais et à un grand-père d’origine chinoise. Durant huit ans, elle a travaillé à quatre mains avec Isabelle Racine, rencontrée durant ses études: « Au sein de cette pratique en duo, nous questionnions l’intérieur domestique et la notion de goût, bon ou mauvais. Nous réalisions beaucoup de petits formats, comme des bibelots que l’on présentait sur des étagères ou des tableaux un peu grinçants. » Depuis la fin de cette collaboration artistique en 2018, Laura s’est lancée dans une recherche plastique personnelle, réorientant ses travaux vers le mé- dium papier.
Toutes ses réalisations sont marouflées sur des panneaux de bois ou des toiles; leurs cadres peints confèrent aux œuvres une présence d’objet dont les contours gais pimentent joliment le classicisme un rien austère des lieux. S’amusant avec les contrastes, la lumière et les matières, la peintre déploie un univers foisonnant où le jeu et l’appropriation occupent une place prépondérante. Pour créer, elle puise dans la vaste banque d’images qu’elle s’est constituée au fil du temps: « Les motifs des tissus et des tapisseries m’inspirent beaucoup, explique celle qui enseigne aussi les arts plastiques au Cycle de Bois-Caran. Et je vais régulièrement photographier des plantes au Jardin bota- nique. »
Bougies, citrons, poissons
Mettant en dialogue le sacré et le profane, le rigolo et le sérieux, le beau et le criard, ses patchworks aussi pop que dada font, ici, allusion à Magritte en figurant des bougies serpentines, là, à la peinture hollandaise avec des citrons partiellement pelés, des poissons, ou un service de porcelaine. À des vases aux décors asiatiques font écho des morceaux de paysages italianisants, qui font comme des fenêtres au cœur des peintures.
Laura Thiong-Toye a également habillé les deux petits espaces attenants à la grande salle de papiers peints colorés décli- nant des motifs de certains de ses tableaux. Sur un pan de mur s’alignent en noir et blanc une série de croquis à l’encre de Chine et au stylo créés pour Sonar, la collection d’Art&Fiction dédiée à la pratique du dessin. Laura Thiong-Toye sera présente le jeudi 25 mai dans l’espace d’exposition pour une rencontre avec le public à 18 heures.