Salle d'attente

Des vases et des fleurs. Des formes, des couleurs, des patterns. Dans l’univers de Laura Thiong-Toye – joueuse et passionnée de botanique –, pas de hiérarchie entre le fond et le sujet, entre le haut et le bas de la composition, entre la narration, la provenance du motif et sa nouvelle mise en scène. Rejouant ce qui, dans la langue française se dit depuis la fin du XVIIe siècle « nature morte », l’artiste s’inscrit dans le sillage de ce domaine de la peinture qui traita longtemps la nature de manière sensuelle, sans oublier son caractère éphémère et sa fragilité. Loin d’une approche qui serait historique, théâtralisée, scientifique, philosophique ou utopique, Laura Thiong-Toye raconte l’étrange séduction des plantes artificielles ou imaginaires avec des composantes figuratives, des couleurs bariolées, de kitsch arabesques. Textures, motifs, silhouettes se rencontrent sur la feuille sans s’embrasser, respectant le territoire de chacun, tout en flirtant avec les effets de mosaïques ou de kaléidoscopes.

De la même manière qu’elle travaillait en duo avec Isabelle Racine – leur collaboration à quatre mains dura sept ans –, Laura Thiong-Toye poursuit la rencontre du profane et du sacré, du savant et du populaire pour composer des patchworks hauts en couleurs, sans souci d’épuration. Un peu comme les artistes du mouvement américain « Pattern & Decoration » qui, dans les années 1970-1980, s’opposaient à l’art minimal et conceptuel. Résultats d’informations glanées ici et là dans la vie de tous les jours – imagerie populaire, publicitaire, tirée de la grande Histoire de l’art comme des réseaux sociaux –, les sujets de Laura Thiong-Toye se tricotent dans une trame faite autant d’impressions que d’appropriations pour une joyeuse surenchère. En érigeant la notion de décoration – longtemps refoulée de la modernité – en un principe cardinal, la jeune plasticienne sort la nature morte des contrastes caravagesques et l’extirpe de toute inertie pour l’animer d’une vie inattendue, entre éclats et audace tantôt baroque, tantôt acidulée.

Afin de maintenir une dynamique dans le processus de création, elle travaille ses dessins non seulement en série mais en même temps ou convoque des collaborations. Ainsi, dans cette « salle d’attente », les socles qui permettent aux vases de prendre forme dans l’espace d’exposition sont tous le fruit de coproductions avec autant d’artistes – dont Paolo Bosson, Nina Haab, Alexandra Haeberli, Paul Hutzli, Sonia Kacem ou Loïc van Herreweghe. L’exubérance des couleurs et l’expérience des formes pour la première fois tridimensionnelle se veulent expérimentales, contagieuses et partant, collectives. Comme une « salle d’attente » luxuriante, ouverte à tous les possibles, comme la promesse d’une valse de formes en mouvement, comme la certitude d’un travail exprimant à l’évidence la joie de créer.

Karine Tissot, Salle d’attente, 2020

Karine Tissot, Salle d’attente, texte d’exposition, Halle Nord, 2020