« Dispositif de monstration par excellence, la vitrine est à la fois le lieu du désir et de la frustration. Elle incarne un espace privilégié pour penser les relations de l’art au commerce, au fantasme et aux mécansimes de sacralisation. Ici, Anaïs Wenger présente le flacon de parfum dans son potentiel performatif, discursif et poétique. Entité biface à la fois consommable et sémiotique, le parfum est doté d’une valeur d’usage et d’échange, chargé d’une symbolique forte. Fruit d’une construction sociale de démarcation et de goût, le parfum est un ornement invisible : un signe distinctif imperceptible, un attribut « stylistique de l’existence »1 et de la mise en scène de soi.
Anaïs Wenger nous met face à un objet spécifiquement destiné à être en contact avec les sens. Pourtant, lorsque la fragrance est captive dans un flacon, lui-même inaccessible derrière le verre d’une vitrine, elle devient image. A la fois contenu et contenant, c’est sa forme, sa matérialité et son nom qui déterminent sa désirabilité.
Jouant avec les mots, l’artiste compose un poème, une histoire acide et sucrée, une anti-ekphrasis olfactive. Explorant les champs lexicaux du parfum à la manière des oulipien.ne.s, elle construit un puzzle d’odeurs conceptuelles, liant songes sensuels, (dé)construction romantiques et voyages littéraires. Simultanément subjective et partageable, l’odeur se fait alors espace de projection volatile et véhicule d’un onirisme fictionel. Si le parfum convoque un flux de marques connues et de contrefaçons, une industrie, un marché, Anaïs Wenger nous rappelle également l’imaginaire collectif qu’il distille : des paysages exotisants, des visions colorées et heureuses, des passions voluptueuses. Le parfum comme synesthésie émouvante et banale. Le parfum comme sentiment. »
Extrait du texte de Gabrielle Boder & Tadeo Kohan, Anaïs Wenger. Le sentiment comme ready-made, 2021. À lire en entier.
À lire également:
- Le texte sur le site d’Art au Centre, Genève, Suisse, 2021