L’intérêt de Luc Mattenberger pour les machines et pour leur puissance n’a jamais nourri la poursuite d’un idéal. Au contraire, celles qu’il a conçues au titre de sculptures ont toujours sous-entendu qu’aucun progrès n’apparaissait sans susciter de désir sombre. Depuis quelques années maintenant, l’artiste a élargi l’analyse des relations de pouvoir à d’autres types de violences potentielles. Les œuvres réunies à l’occasion de cette exposition proviennent d’un voyage à Marfa, dans l’état du Texas, où l’artiste a séjourné une première fois en 2014 et une seconde en 2017. Ce paysage désertique, marqué par l’utopie de Donald Judd et maintes fois romancé par le cinéma, a été le terreau fertile d’une réflexion sur la manipulation du corps et de l’esprit. Une première œuvre en 2014, Pinto Canyon, évoquait la musique pop à la fois comme bande-son d’une ballade sur les grandes routes et comme instrument de torture dans la prison de Guantanamo. De retour à Marfa trois ans plus tard, Luc Mattenberger a reconduit ces réflexions, tout en donnant une place au corps qui était jusque-là présent en creux dans ses œuvres. De la même manière qu’il a toujours laissé entendre que l’on pouvait faire un usage fructueux comme redoutable de ses machines, il attire l’attention sur la polarisation des champs d’application de la pleine conscience. Récemment popularisée auprès du grand public, cette technique de méditation est en effet employée dans des contextes aussi différents que ceux de la santé, du travail ou encore de l’armée. For The People (2017-2018) est un monument, rappelant les lignes pures et le matériau de certaines sculptures de Donald Judd à Marfa. Les images filmées par un drone, automatisé, restituent une performance dans laquelle un homme et une femme occupent brièvement des positions assises, couchées ou debout, en épuisant les possibilités offertes par les volumes. Ils n’interagissent jamais l’un avec l’autre. Ils semblent absorbés dans leurs pensées, en retrait. Impassibles, concentrés, ils ont pour instruction de pratiquer la pleine conscience durant chaque pause. L’artiste, qui les a laissés prendre place comme ils l’entendaient, n’a pu que constater qu’ils avaient exécuté toutes les postures qu’il avait imaginées et qui étaient induites par la forme même du monument qu’il avait dessiné – comme si l’architecture avait manipulé les deux performeurs. Dans Lying Behaviour (Landscape) (2018), des textes de pleine conscience sont codés sous la forme d’impulsions lumineuses colorées, projetées sur un écran plat, et d’ondes sonores en basses fréquences, diffusées dans un casque. L’artiste s’est soumis à ce dispositif durant deux jours consécutifs, dans un bunker près du lac des Quatre-Cantons. Coupé de l’extérieur, perdant la notion du temps, assujetti à la pénibilité des signaux lumineux et des infrasons, il a vécu cette expérience comme la mise en arrêt temporaire de son cerveau. Il propose au public de la vivre à son tour avec We Only Got Two Lives (2018). Enfin, dans la série de quatre estampes Sans titre (2019), des textes inspirés de différentes études sur l’utilisation de la pleine conscience dans le traitement des addictions et des troubles anxieux sont reproduits sur un motif de carrelage blanc. Comment et à quelles fins cherche-t-on à manipuler l’esprit d’autrui, en lui ôtant toute capacité de penser ? Luc Mattenberger interroge la liberté dont nous disposons encore en tant qu’être augmenté.
Luc Mattenberger The Timber, the Tone and the Duration
Laurence Schmidlin
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