Modélisant la notion d’espace dans ses interstices et ses lieux d’autorité, les installations oniriques de la jeune artiste mêlent l’insurrectionnel à l’institutionnel pour une réflexion transversale.
À chaque période de crise ressurgit la polarité entre deux stratégies en apparence incon- ciliables. Cela concerne les luttes sociales, à l’échelle de la superstructure gouvernementale, mais également à celle de cet infra-milieu qu’est le monde de l’art. S’il aime souvent à se penser en orbite, il se découvre, à chacune de ces périodes, partie prenante de dynamiques qui le traversent. Alors, l’art se détourne de la simple représentation pour
se pencher sur ses systèmes et modèles, et se demande à son tour: agir depuis les marges ou en tête de cortège? S’en aller cultiver ailleurs son jardin ou bien ensemencer les centres établis des graines de la révolte? Ou, plus simplement: réformisme ou révolution?
Ce choix idéologique, tendant au même but par des stratégies en apparence concurrentes, se retrouve dans le titre de l’exposition de Lou Masduraud à la Maison populaire, à Montreuil: Systm Soupir. Il s’y retrouve, tout autant qu’il s’y donne, poétiquement bégayé, tordu et fondu, grignoté et plié. Venant conclure le cycle No no Desire Desire mené depuis 2020 par le commissaire Thomas Conchou, cet ultime volet ponctue également la résidence d’un an de l’artiste.
Attentive, dans son approche élargie de la sculpture, aux pratiques matérielles et fictionnelles d’émancipation, Lou Masduraud présente au cœur de l’exposition le résultat d’un atelier proposé dans ce cadre. Aux
adhérent-es de l’association, l’artiste a proposé d’arpenter la ville afin d’observer l’architecture des institutions de Montreuil, puis de les reproduire collectivement à échelle réduite.
Détente institutionnelle, le nom de l’installation, rassemble les maquettes en terre cuite de la mairie, de l’école, de l’hôpital, du tribunal, de la bibliothèque, du conservatoire ou du commissariat. Présentées soclées et ainsi magnifiées par le dispositif de monstration, elles semblent néanmoins molles.
Singeant la rigidité du pouvoir, elles le dégonflent, tout en exposant à sa place la potentialité, encore maintenue à l’état de possibles, d’en fluidifier les dispositifs.
Car quelque chose s’élève bel et bien, plutôt qu’une simple table rase, qui démontre l’apprentissage d’un savoir, d’une technique. L’on pense à Matthew Wilson qui, dans son livre Rules Without Rulers (« Lois sans législateurs ») de 2014, avance en guise de dépassement de l’alternative pointée en introduction: « Aujourd’hui, un grand nombre d’anarchistes préfèrent agir au lieu d’élaborer une philosophie politique ou prendre parti au sein d’un débat polémique ».
Dans sa pratique personnelle, Lou Masduraud mobilise également une pragmatique de la dissidence. À travers des matériaux d’usage – céramique, textile, laiton – ou DIY – une pâte de silicone et de fécule de maïs, dont la recette a été trouvée sur Internet – l’artiste devise des Plans d’évasion tout autant qu’elle installe des Cabinets de contorsion. La première des deux séries perce les murs de soupiraux dont le grillage serpentin invite le regard à faire de la surveillance un jeu de voyeurisme réversible, ouvrant sur des métavers ésotériques et chatoyants venant nimber de lumière rose, bleue ou jaune la possibilité de la fuite. La seconde série, elle, réimagine l’architecture domestique – un auvent bourgeois, un cabinet cosmétique – en autant de corps intergenres armaturés d’ossements et lardés de plumes, fleurs, parures et capes, semblant en attente d’activation au sein de jeux escapistes. La pièce entière de l’exposition s’unifie par une ultime intervention.
À l’entrée, l’artiste est venue déplacer au sein de l’exposition l’un des réverbères de l’éclairage public, dont la tête baigne dès lors l’es- pace d’une opacité jaune soufre. Ne sourd alors pas tant la nuit de l’anonymat bienheureux que son annulation même, telle qu’instaurée par l’éclairage artificiel qu’analyse le philosophe Michael Foessel dans son essai La Nuit (2017) sous le prisme de l’impossibilité en ces espaces spectacularisés de « vivre sans témoin ».
Attentive à dissoudre l’armature de la ville-organisme et de ses institutions-or- ganes, l’artiste fait œuvre d’apprentie sorcière et renverse par le rire abrasif, l’érotisme carnavalesque et l’abandon pulsionnel des binarismes normatifs entre le haut et le bas, le centre et la périphérie, le soi et le commun. Lou Masduraud infuse les lieux des effluves désirants de l’insurrection tout autant qu’elle perce les murs d’une multitude d’échappatoires mentales, venant recharger la critique frontale des structures normatives d’une enivrante caresse – ou soupir.