Lou Masduraud Cabinet de contorsion (danse macabre)

Dans sa pratique artistique, Lou Masduraud développe un réseau de corps hybrides adaptatifs, de systèmes tubulaires, de soupiraux oniriques, de lampadaires contextuels, de fontaines pour un corps social productif ou encore de bouches en marbre qui suggèrent une érotique du partage du sensible. En opérant par glissements fantasmagoriques, l’artiste refuse la clarté d’un système normatif pour préférer une expérience esthétique qui se forme dans un rapport aux corps, aux mondes et aux autres subjectivités.

Les Cabinets de contorsion sont des systèmes tubulaires aux courbes élégantes, des entrelacements squelettiques pour des corps hybrides et étranges. Lors de leur première configuration à la Villa Vassilieff en 2020, de longs tuyaux suivaient les murs de l’institution avant de s’échapper par le bureau, une symbolique de plomberie qui insistait sur une dynamique insidieuse et cachée. Le geste de l’artiste était un commentaire à déchiffrer, un fil d’ariane d’une critique institutionnelle. Leurs itérations présentent par la suite, comme pour Art au Centre, une anatomie plus spécifique. Par exemple, une variation présentée à Circuit, à Lausanne, rappelait l’ossature d’un bras dont la main tenait délicatement deux plumes d’autruche de couleur noires, leur conférant l’étrangeté et l’élégance d’un squelette victorien. L’artiste y intègre des plumes, fleurs, coquillages ou encore nid d’oiseaux, s’incrustant avec délicatesse, comme si l’ossature accueillait avec bienveillance ces éléments exogènes. Une ambivalence entre résilience adaptative et hybridation libre et jouissive.

Lou Masduraud structure sa pratique artistique en trois types de projets : le développement d’une anatomie contrainte (dont font partie les Cabinets de contorsion), des soupiraux en céramique émaillée (les Plans d’évasion) et une recherche critique sur les fontaines publiques.

Les Plans d’évasion sont une série de soupiraux, ouvertures grillagées au bas d’immeubles qui aèrent et illuminent les sous-sols des habitations. Leur grille sectionnée indique une effraction, cassure dans l’ordre établi d’un système. Une lecture psychologisante renforcée par la symbolique du seuil et des titres (confusion, extase, rêve). Ils côtoient certaines fois des réverbères, illuminant l’espace d’un orange tremblant typique des lampes à vapeur de sodium d’un éclairage public vétuste. Pour chaque présentation,l’artiste les récupère aux services publics de la ville dans laquelle l’exposition a lieu, le circuit court comme principe d’une pratique site specific. Leur éclairage frémit sur les œuvres alentour, une couche vibrante qui baigne l’exposition d’une atmosphère inquiétante, une amorce de fiction.

Comme troisième projet, la recherche critique sur les fontaines publiques s’articule par exemple avec les Substances actives, bassins ou fontaines murales qui crachent des vapeurs d’anxiolytiques naturels. En rassemblant le public autour de ces émanations, Lou Masduraud étend le rôle social du bassin dans une version contemporaine néo-libérale où les promesses wellness participent le plus souvent aux désirs d’un corps performant, le repos ne devenant qu’une seule autre étape productive. Pour une exposition à l’Institut suisse de Rome en octobre 2022, l’artiste s’est intéressée aux projets de fontaines de Meret Oppenheim, développant une pratique souvent lue dans des considérations éco féministes. En opérant par glissements fantasmagoriques, Lou Masduraud refuse la clarté d’un système normatif pour préférer une expérience sensible qui se forme dans un rapport aux corps, aux mondes et aux autres subjectivités.

Présenté lors de l’exposition des Swiss Art Awards 2022 à Bâle, Petrifying basin (kisses with the nymphs) est un bassin d’eau stagnante où des bouches rouges et blanches faites de marbre émergent, soutenues par différents tuyaux et pierres calcaires. Certaines sont ouvertes, laissant apparaître une dentition composée de coquillages, petites pierres de marbre ou l’ornementation d’un strass dentaire. Elles peuvent être imparfaites et jaunies, un excès de cigarettes, ou bien l’indice d’un écosystème composé de bactéries, prolongeant des considérations antispécistes où la bouche devient espèce hôte d’un corail au lieu de l’émail dentaire. D’autres fois, les lèvres ne sont qu’entrouvertes, l’amorce d’un baiser peut-être, une bouche à activer comme on ouvre un robinet, mais cette fois par la caresse pulpeuse de vos lèvres.

Paolo Baggi, « Lou Masduraud, Cabinet de contorsion (danse macabre)», texte d’exposition, Art au centre, Genève, 2022