Les œuvres de Jérôme Leuba sont comme des traces sur le champ de bataille. D’ailleurs, depuis quelques années, beaucoup portent le nom de Battlefield, suivi du croisillon typographique # propre aux numérotations anglo-saxonnes. Et l’anarchie de cette numérotation n’est pas sans évoquer aussi le désordre de l’arène guerrière. En résidence de quatre mois, jusqu’à mi-janvier, en Afrique du Sud grâce à Pro Helvetia, l’artiste genevois ne pouvait manquer d’explorer à sa façon les tensions de ce pays. Et de ramener quelques Battlefield pour une exposition.
Une photo, un objet, une installation parfois… Et toujours des mises en scène. Comme l’an dernier à la biennale biennoise Utopics où l’artiste genevois avait installé un homme avec un fusil militaire sur un balcon. Des passants avaient appelé la police et le réel avait ainsi rattrapé la fiction.
D’or et de sang
C’est toujours un peu comme ça avec les œuvres de Jérôme Leuba. Il joue avec nos clichés, nos pensées toutes faites, pensées réflexes qui s’activent au vu d’une simple photographie, d’une scène de rue, qu’on classe vite fait bien fait dans les fichiers ad hoc de nos cerveaux où se compilent des milliers d’images de faits divers et autres actualités internationales plus ou moins guerrières.
Jérôme Leuba a travaillé sur les tensions sociales, économiques, issues de l’histoire récente de l’Afrique du Sud. Sans doute documente-t-il cette réalité mais, surtout, il interroge notre regard, notre capacité, notre envie de légender les images. Qui sont ces gens filmés de loin en train d’ouvrir et fermer des fenêtres, d’agiter un drap sur la façade sombre de ce building? Un drame se joue-t-il? Et cette photographie baptisée battlefield # 59/search? Est-ce une battue? Qui a disparu?
Le quasi-palindrome qui titre l’exposition, Gold Dog, a aussi valeur d’oxymore. La tension du jeu de mots se visualise dans une photographie du mot Gold tracé à l’envers dans la poudre dorée. Lui fait pendant un autre cliché sur une flaque rougeâtre. Oxydes de fer ou sang? Le minerai ou la force, la violence utilisée pour l’obtenir?
Sur un mur, trois tirages photographiques, beaux et lisses comme des images de joailliers, montrent des bagues vidées de leur diamant, comme énucléées. Leur font face des grilles de métal. Objets lourds, presque griffus, agressifs comme des portails de propriétés privées, elles sont justement en forme de diamant.