Setting 2011

« Le site de Grafenwöhr est le plus grand camp d’entraînement militaire américain hors des Etats-Unis : établi en 1910 sous le Royaume de Bavière, il a une surface de 276 km2. Depuis 1945, ce terrain appartient aux Américains. Le camp se situe dans une réserve naturelle et il est interdit d’accès au public. Les soldats qui y sont basés partent pour l’Irak ou l’Afghanistan au bout d’un entraînement d’environ trois semaines. Pendant ce temps, des étudiants, des chômeurs et autres citoyens allemands y sont employés comme figurants ; ils jouent des civils arabes pour l’entraînement des soldats. Ces figurants, appelés Civilians on the Battlefield, et plus particulièrement deux d’entre eux avec lesquels je me suis entretenue, sont au centre de Setting. La transcription de ces entretiens est lue par une actrice. »

Extrait du texte de Gabriela Löffel

Gabriela Löffel

Setting,  2011

Installation, projection vidéo 2 canaux, hautparleurs, 33 min

Videostill © Gabriela Löffel

« C’est la voix qui d’abord nous happe dans la semi-obscurité de l’installation. Une voix de femme qui, sans affect, parle d’insurgés, de soldats, de bombes, d’ambulanciers, de fusils… Rapidement on comprend qu’il ne s’agit pas du récit d’une guerre réelle et vécue mais celui de l’expérience troublante qui consiste à endosser le rôle de fi- gurant dans un camp d’entraînement militaire. Ce n’est pourtant pas sur cette zone militaire que Gabriela Löffel va diriger sa caméra. Mais sur ce que peut révéler le décalage entre le réel et l’imaginé, l’existant et le simulacre.

Elle avait déjà commencé cette (en)quête sur le lien entre la guerre et le langage dans une vidéo précédente, The Easy Way Out, 2010, qui avait eu pour point de dé- part une discussion presque furtivement enregistrée au bar d’un hôtel situé au bord de ce même camp bavarois.
Des trois personnes rencontrées, un soldat, une vendeuse de voitures et la pro- priétaire de l’hôtel, nous ne connaîtrons pas leur visage. La conversation constitue l’épitase du travail qui tente de comprendre l’entrelacement des fils du discours, des mots et des silences. Elle est mise en scène, retranscrite, traduite et lue par trois interprètes professionnels qui leur donnent corps comme un comédien pourrait le faire, à cela près que ces traducteurs sont dans des « cabines » individuelles, grises, casque d’écoute sur la tête, stylo à la main et micro à portée de voix. Ce procédé de distanciation est complété par le dispositif de l’installation vidéo : même cadrage pour les trois personnages, projection frontale sur trois écrans et, pour le spectateur, un casque sur la tête, il ne lui est donné d’entendre qu’un inter- prète à la fois et donc de ne saisir la « conversation » que par des monologues fragmentés par des silences. »

Extrait du texte de Françoise Ninghetto, « La fiction comme expérience des réalités », in Kunstbulletin, 5/2011.

« Gabriela Löffel ne se sert pas de la caméra pour enregistrer des images ‹en direct›, le reportage et le documentaire ne constituent pas son terrain d’action. Sa caméra est bien un outil d’observation mais de situations – il n’est sans doute pas erroné de parler de mises en scène – qu’elle crée. Qui ne sont jamais décontextualisées du sujet qu’elle veut traiter. Mais elle manie l’obliquité. C’est dans cet écart, provoqué par sa manière de se d’aborder le sujet, que son travail ouvre à des réflexions sur le sens de ce que l’on comprend du monde lorsqu’on prend conscience de la fragmentation de nos connaisances.

Ainsi, Setting sera une nouvelle étape dans sa réflexion autour de la parole. À la suite de sa deuxième visite du camp, elle cherche à obtenir des informations plus précises sur ceux qui, face aux soldats, jouent le rôle des ennemis : les figurants. Ces derniers, communément des Allemands (actuellement préférence est donnée à des figurants arabes), sont engagés pour des périodes de trois semaines durant les- quelles ils endossent différents rôles, blessé, villageois attaqué, terroriste, insurgé… Leur contrat leur impose de taire le travail qu’ils ont effectué pour l’armée améri- caine. Malgré cette interdiction, Gabriela Löffel a réussi à rencontrer deux figurants qui ont accepté de lui raconter leur si particulière expérience. Pas de déclarations politiques, ils égrènent des situations vécues dans un réel hors du réel… Leurs récits rappellent ces jeux de rôles qui à la fin des années 1960, à la suite de la parution du Seigneur des Anneaux, 1966, prirent une forme nouvelle créée par Gary Gygax, le Chainmail. Ces « jeux de guerre » qui connaissent une florissante postérité prolongée dans les jeux vidéo. »

Extrait du texte de Françoise Ninghetto, kunstbulletin, 5/2011, à lire en entier ici.

Gabriela Löffel

Setting,  2011

Installation, projection vidéo 2 canaux, hautparleurs, 33 min, extrait

Vidéo © Gabriela Löffel

Crédits:
Sound design: Daniel Hug
Voix narrative de la version française: Miruna Coca-Cozma
Voix narrative de la version allemande: Nadja Schulz-Berlinghoff

Lieu de tournage:
Studio des pièces radiophoniques de la Radio télévision suisse, Bâle, Suisse

Andrea Cinel, Gabriela Löffel, Collection Cahiers d’Artistes, Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture, Lucerne/Poschiavo: Edizioni Periferia, 2015

À consulter:


REPÉRAGES ET PROCESSUS

Gabriela Löffel

Setting,  2011

Photographie du lieu de tournage, Studio des pièces radiophoniques de la Radio télévision suisse, Bâle, Suisse

Photo © Gabriela Löffel