Sans titre I 1986

« Comme les minimalistes américains dont elle se sent un peu la petite sœur, Anne Blanchet aime les matériaux industriels, la géométrie neutre et stricte, l’exécution parfaite et sans trace du « fait main » : « Rien aucun détail anecdotique, aucun défaut ne doit arrêter l’esprit ». Comme les Américains encore, qui l’ont révélée à elle-même au cours d’un long séjour aux USA, elle voit grand, large, monumental. Elle a besoin d’empoigner à bras-le-corps un morceau d’espace beaucoup plus grand qu’elle pour le transformer, le vivre et le faire vivre autrement. Comme une chorégraphe qui réorganise un espace avec des gestes, sauf que les gestes sont ici de bois, de plastic ou d’eau ! Reste encore, avec la danse et les Américains, une troisième fascination dont elle nourrit son travail : la lumière du Japon. La manière, à la fois très simple et follement savante, sensuelle et métaphysique, avec laquelle les Japonais, et tout particulièrement les architectes vernaculaires, utilisent la lumière. Au commencement, il y a l’espace et la lumière. Les deux matériaux premiers. Tous les autres ne sont là en réalité que pour leur donner forme. Des catalyseurs d’espace et de lumière. Les autres matériaux sont de deux ordres. Les artificiels : le plastic souple moulé par le poids de l’eau, le vinyl noir qui gaine des armatures cachées, le plexiglas qui conduit la lumière, le papier translucide qui la diffuse. Et les naturels : le bois de charpente brut pour bâtir des architectures rigides, les branchages les plus droits possible pour dire la nature sans sensiblerie ni pittoresque. Par une étrange inversion, ce sont les premiers qui paraissent organiques, comme des peaux vivantes et mouvantes, tandis que les seconds jouent le jeu figé de la géométrie. Paradoxe toujours, c’est l’eau, matière informe, qui par son poids dans les poches, par ses reflets et ses mouvements qu’un souffle suffit à déclencher, forme, déforme et transforme les sculptures et l’espace tout autour ».

Françoise Jaunin, « Anne Blanchet. Espaces à penser. », in Voir fév.1989