Dans « La mise en scène de la vie quotidenne », le sociologue américain Erving Goffman envisage les espaces d’interactions comme une scène avec des coulisses, un public et des acteurs, qui travaillent ensemble à construire une définition commune de la situation. C’est la métaphore théâtrale, où chacun adapte son rôle suivant son cadre. Dans la métaphore cinématographique, plusieurs cadres d’expériences peuvent s’articuler afin de rendre possible d’autres formats de composition. Un cadre est dit transformé lorsqu’il résulte d’une intention énoncée ou qu’il est destiné à transmuer l’activité du groupe ou de l’individu en interaction, sans que ceux-ci ne s’en rende compte.
Titré d’après un référentiel français visant à définir un standard d’accueil dans les institutions publiques, Marianne a pris la forme d’une expérience initiée par l’artiste mandatée pour réfléchir à l’accueil dans le contexte de cette exposition inaugurale.
De même qu’une société prestataire façonne des employés soigneusement castés pour une société cliente en leur assignant un uniforme qui définit tout de leur coiffure à la hauteur de leurs talons, modelant jusqu’à leur posture et le ton de leur voix, Anaïs Wenger a commencé par soumettre aux membres du CAN un costume confortable, propice à l’échauffement. Ainsi uniformisés, l’équipe s’est présentée au public de manière identifiable lors de l’inauguration de Sympathie.
Afin de s’impliquer d’avantage dans le processus, Anaïs Wenger a alors suivi une formation du Conseil International des Musées portant sur l’accueil du public en compagnie de délégués d’autres institutions, complétant par là sa propre expérience d’hôtesse d’accueil (une position généralement occupée par des étudiant-e-x, jeunes diplômé-e-x et artistes désargenté-e-x, créé d’après le modèle de l‘hôtesse de l’air dans les années 1960 et le sillage du mouvement des relations publiques et de la communication d’entreprise.
S’il est question de fluidifier la communication entre les personnes en interaction grâce à des outils langagiers semblables à ceux des grandes enseignes, où les employés s’adressent aux clients suivant un script établi par des équipes de « creative writter » source), cette standardisation du vocabulaire tend pourtant vers les dérives du newspeak annoncé en 1949 par Georges Orwell : remplacement du sens par le signal et destruction de l’individu devenu anonyme.
De ce jeu d’instrumentalisation, de déconstruction des codes de l’exposition propre à Sympathie et d’aller-retour entre coulisses et scène émerge un nouveau visage, interprété par la comédienne Lola Giouse. Incarnation d’une présence accueillante dans un rôle dont le climax consistait à inviter le public à la suivre en toute sympathie pour emprunter un chemin alternatif dans les coulisses du CAN jusqu’à se retrouver dehors.
Texte de l’exposition collective SYMPATHIE au CAN Centre d’art Neuchâtel, Suisse, 2018.