Né à Saint-Julien-en-Genevois, Alexandre Joly entame en 1997 ses études à la Haute école d’arts appliqués de Genève, où il obtient un diplôme de céramiste. Adolescent, il investit le grenier de ses parents mis à sa disposition en tant qu’espace créatif: un lieu de bricolage, de rassemblement d’objets hétéroclites, d’expérimentations sonores et spatiales. Les bases de sa méthode de travail sont alors posées: empirique, inventive, empathique, sans hiérarchisation des matériaux mis en œuvre. Sa formation de céramiste répond à un premier besoin de maîtrise technique et de confrontation tactile, sans qu’il n’en fasse son métier. Il poursuit par un diplôme d’enseignement et une formation postgrade non-achevée à la Haute École d’art et de design, alors que sa carrière d’artiste décolle franchement. Actif dans le tissu alternatif genevois, Joly participe à des projets avec la Cave 12 et Duplex, répond aux invitations de l’Usine Kugler et de Mos Espa, tout en étant représenté par des galeries suisses et internationales. Il est l’invité de festivals (La Bâtie, Antigel, Mirage et Interstice), réalise des performances dans des institutions à l’étranger, participe à des expositions collectives en Europe, aux Etats-Unis et en Chine, où il est en résidence dans le cadre du programme Artists in Labs. Ses expositions en institution ont lieu au Locle (2009), à Sion (2010) ou à Langenthal (2013). Il conçoit des projets importants, miroirs de ses préoccupations et de son évolution, pour Bex & Arts, et la Triennale du Valais.
L’œuvre d’Alexandre Joly a la densité d’une forêt profonde: les innombrables arbres qui la composent sont semblables et dissemblables à la fois, changent de silhouette et sont soumis au cycle infini des transformations. L’artiste construit un travail débordant d’imagination et de poésie, où le son est primordial. À l’aide de matériaux et techniques récurrents, il peuple un univers éclectique: machines démontées, systèmes électroniques, composants naturels (animaux, plantes, morceaux de bois), instruments de musique détournés ou objets devenant sources sonores, céramiques, enregistrements audio, bibelots trouvés, et matériaux pauvres. Il met à l’épreuve ses accumulations dans un esprit expérimental essentiel à chaque réalisation et propose des installations où des piézos (hauts-parleurs à l’état minimal) amplifient la vie intérieure de troncs de bouleau ou créent un paysage sonore à motifs géométriques couvrant les murs d’un lieu; où des canards laissent derrière eux la fumée de leur pot d’échappement imaginaire; où des bâtons de chaman ornés de cymbales font toupie géante. Il réalise également de nombreux dessins qui s’affinent sensiblement à la suite de son séjour en Chine. La préoccupation perpétuelle du son qui s’incarne, pulse et devient lumière, tissu, temps et vibration, s’associe au jeu de rapports de taille inversés qui amplifie son monde onirique. Le souci expérimental maintient son œuvre en mouvement, faisant revivre les éléments de certaines installations dans un autre contexte. Les mutations se propagent ainsi, allant et venant entre l’auteur et sa création, transformant à leur tour le spectateur. Certains matériaux choisis portent d’ailleurs une forte charge métamorphique (cristaux, peaux, bois, eau). Le processus instantané de modification qu’induisent l’ouïe et le regard est exploité par un sens esthétique aigu, nourri entre autres de sources extrême-asiatiques. Des œuvres abondantes, bouillonnantes contrastent avec des interventions plus sobres, chaque paysage traversé apprivoisant les questions essentielles de la vie, du rêve, de la mort. Joly allie sous l’égide du sonore un sculpteur, un dessinateur, un faiseur de sons et de contes, et démontre une grande capacité d’habiter les espaces du rêve et du réel.
texte publié dans Sikart