L’œuvre occupe la cour pavée prolongeant l’entrée de l’hôpital. La cour est le foyer central autour duquel se rassemblent les différents corps vivants réunis par l’activité de soigner. L’œuvre est une scène, une représentation du monde, visible successivement de l’extérieur puis des étages du bâtiment. Les motifs de l’œuvre s’inscrivent dans une cour lignée de galets et plantée de pins. La cour est la possibilité et le produit de plusieurs images comme autant de pistes interprétatives ou de lectures. L’une est clairement structurelle : de l’intérieur des bâtiments, je note l’inscription patiente d’un texte, l’espace précisément ligné d’une page. L’autre est plus narrative : de l’extérieur, je vois l’image d’un paysage abstrait, vibrant et ondulatoire, le mirage d’une sorte de mer minérale. La première semble porter la seconde, puis s’efface, comme une page porte les signes d’un texte pour y disparaître.
Ma proposition se décline en trois gestes :
Le remplacement de galets de rivières par des pierres provenant de sites alpins d’altitude dessinent sur le sol cinq cercles. Dans cette trame minérale et pointilliste, chaque point est une entité discrète, mais nécessaire à la construction du tableau, comme du paysage. Ces éléments sont des connecteurs ouverts, les point d’articulations d’un assemblage mesurant la cour, rassemblant toutes formes de vie, de croissance et d’activité.
L’installation d’une vingtaine de sphères soufflées en verre, disséminées dans la cour. Chaque pièce est un monde, témoignant d’une fragilité réelle, mais aussi d’une forme de perfection. Ces formes ne sont ni statiques, ni fermées. Elles n’entourent rien d’autre qu’elles-mêmes. Elles ne décrivent pas de périmètre extérieur à l’intérieur duquel la vie serait contenue, mais plutôt le courant de la vie elle-même qui rayonne autour d’un foyer, où le visiteur se reconnaît.
La pose au sol d’une plaque situe et légende la situation. L’image d’une géographie sédimentaire abstraite s’associe à un vers de Sylvia Plath. ABC, her eyelids say - ABC, disent ses paupières. Le vers de l’écrivaine condense l’évidence d’un énoncé premier : la possibilité générique de tout langage, à la beauté́ contre-intuitive d’une sortie immédiate du texte, par le corps, hors du langage.
Les éléments de ce tableau construisent une perspective à foyers multiples d’où chaque point émet et dans laquelle, chacune, chacun, peut se reconnaître et se situer. Je pense que l’organisation de cette connaissance est une mission importante de l’art, parce qu’elle engage à une réflexion participative et consciente du monde.
Pierre Vadi, 2021
Pierre Vadi
Position du soleil
Hôpital Riviera-Chablais, Rennaz, 2020-2021
Photo © Annik Wetter