Surface de réparation verbale.
«Sous les dehors plutôt familiers, et donc assez rassurants, d’une triangulation sentimentale sur fond de périple automobile à travers le réseau routier du sud de la France, ce road-movie estival se révèle pourtant rapidement atypique.
A la dynamique habituelle du genre, qui traduit l’errance par un déplacement constant du véhicule et de ses passagers, avec son lot de travellings et autres mouvements de caméra, Gaule privilégie un traitement statique des espaces traversés ou de ceux encore à visiter. A la fausse spontanéité d’une conventionnelle caméra à l’épaule, le cadrage adopte la distance attentive d’un dispositif de surveillance, marquant un goût prononcé pour toutes sortes de détails de l’aménagement urbain. Par leur présence insistante et par l’échantillonnage visuel qui nous en est proposé, les innombrables zones périphériques servant d’étapes aux trois personnages acquièrent une irréalité inattendue.
Mais l’étrangeté ne provient pas seulement des décors, la langue dans laquelle sont taillés les dialogues y contribue largement. En effet, l’ensemble des échanges verbaux entre ces trois personnages anonymes, est composé des commentaires de la transmission télévisée de la deuxième mi-temps du match opposant le Brésil à la France en finale du championnat du monde de football 1998.
L’extrême économie lexicale, les répétitions à outrance et la surabondance de noms propres, spécifiques de cette forme journalistique, viennent ici prendre la place des termes du dialogue communicant attendu et composent petit à petit une langue autre, entre étrange et étrangement familière, qui met en péril notre confort de spectateurs.
Mais cette radicale substitution linguistique fait bien plus que compromettre cet habituel (et bien naïf) accès immédiat au sens que l’on attribue si facilement aux œuvres sollicitant le regard. En altérant, du moins chez les spectateurs francophones, la possibilité de suivre le film à travers de ce qui est donné à entendre, Gaule exige des formes d’attention renouvelées, que ce soit sur le plan auditif pour tenter de capter la valeur de l’énonciation, ou sur le visuel pour apprécier la singularité de ces corps arpentant des espaces préfabriqués pour en dégager d’autres territorialités»
Texte de Pedro Jimenez Morras